Cabane

Cabane

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 19 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

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Quand les pompiers ont croisé dans l’escalier le médecin légiste flanqué des policiers ils ont lancé ‘encore un escargot’, les cadavres de gens repliés sur eux-mêmes, qui ne sont pas sortis de chez eux depuis des semaines, et qui finissent par rentrer dans leur coquille.

C’était une jeune fille très timide a dit la voisine. C’est vrai qu’elle ne sortait jamais, elle se faisait parfois livrer une pizza.

Pendant que l’inspecteur fouillait dans un sac à main à la recherche d’un contact de famille, le toubib regardait s’il y avait un mot ou des médocs laissés quelque part. Je suis certain qu’elle est clean, elle s’est juste laissé aller comme cela dans son fauteuil. Pas de drogue, pas de médicaments, juste attendre de finir, on verra à l’autopsie, elle semble vraiment clean.

Tous les syndromes ‘de la cabane’ ne finissent pas en DCD, mais il rencontrait de plus en plus de gens qui avait renoncé à reprendre une vie normale, des TOC, troubles obsessionnels compulsifs qui dépassaient leurs crises d’angoisse en plongeant dans une funeste léthargie. L’alternance confinement, couvre-feu, télétravail, perte des contacts sociaux faisait surgir ces petites détresses refoulées.

La dame elle n’est pas morte du Covid mais à cause du Covid répéta le toubib au flic, c’est comme les taulards qui sont paumés en sortant et qui regrettent presque de ne plus être pris en charge par les matons. L’inspecteur questionnait la voisine, elle faisait quoi comme travail, elle avait des amis ?

Dans le journal demain une psychologue clinicienne expliquera que tous les âges et tous les profils sont touchés par cette insidieuse inclination à se renfermer, à s’isoler, à ne plus avoir envie d’aller voir dehors. Ces victimes avaient commencé par adorer le confinement car cela leur facilitait la vie, elles n’avaient plus besoin d’affronter leurs collègues grâce au télétravail ni à avoir à adopter une apparence sans même à changer de tee-shirt, on pouvait garder le même 15 jours de suite. La jeune fille avait cessé de faire le tri de ce qui pouvait être essentiel sans vraiment remettre en cause les jalons de sa vie, ses études, ses choix professionnels, ses amis, sa famille et de nouveaux automatismes s’étaient imposés.

Ce n’était pas un suicide, plutôt une panne de vie. Dans son casque encore branché, en boucles éternelles, le Quatuor n°14 en ré mineur D 810 de Schubert, ne crains rien, donne-moi ta main, je suis ton amie. La vie a besoin de la mort pour être considérée. Au mur, un poster de Rembrandt, Hadès enlevant Perséphone. Des cartes postales de vacances. Elle avait grimpé au sommet du Mont Tremblant et trouvé un abri dans une cabane en rondins puis s’était endormie en oubliant la providence.

2021-04-19 22h13 ap

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