Grandire
AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 15 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)
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Quand Gérard est sorti des Urgences il a dit qu’il n’y avait pas de sang mais de la folie. Ses parents pensaient qu’il serait hospitalisé mais il n’y avait pas de place. La salle d’attente était pleine de jeunes comme lui, beaucoup de filles et des garçons de même pas 10 ans.
Personne ne parle. On ne joue pas ensemble. C’est une cocotte-minute dit une maman pour excuser sa gamine qui se vautre sur la table. Oui je comprends ne vous en faites pas. Justement on s’en fait, depuis qu’à la radio on a entendu que le suicide des jeunes avait doublé depuis le Covid.
Gérard, peut-être pour l’acteur des Valseuses ou l’auteur de « je suis le Ténébreux » (que l’on a retrouvé pendu), un peu sale gosse, presque bon élève, et champion pour les bêtises dans l’immeuble, ne dort plus, pleure tout le temps et mange mal.
La pédopsychiatre des Urgences passe une tête, répond à une maman « depuis trois mois des centaines sont tombés ». La toubib ne s’écoute pas, elle parle machinalement, elle travaille à la chaîne. Tous dans la salle scrutent son visage, lisent dans ses yeux mais elle n’a pas le temps, à qui le tour ? Je pense aux Poilus à l’assaut des tranchées, des milliers, tombés au champ d’honneur.
Gérard a contaminé son père et son grand-père, ce sont les analyses qui l’ont prouvé et ils sont tous les deux en réanimation ; bien-sûr aucune remarque, aucun reproche mais pendant qu’on cherchait avec des tests, Gérard a compris. Personne dans la famille n’a compris qu’il avait compris. Ce n’est peut-être pas pour cela qu’il a avalé toutes les pilules de l’armoire à pharmacie et les 50 cachets de Xanax de sa maman.
Il n’y a plus de judo, il n’y a plus de foot, il n’y a plus de goûter chez les copains. Gérard passe son temps à vérifier l’heure avant le couvre-feu. Il retourne à l’école, l’estomac lavé, et on répète la veille au soir à la maison des réponses pour quand les copains poseront des questions. Le matin il s’est enduit de la tête aux pieds de gel désinfectant. Il a mis un masque dans chaque poche. C’est ce jour-là qu’il s’est mis à bégayer. L’autre grand-mère a dit envoyez-le moi. Mais c’est impossible, trop loin, trop compliqué. Sous la douche on a vu qu’il s’était mutilé, comment a-t-il fait et quand, alors que nous les parents on est toujours là, en télétravail ?
À l’hôpital, l’infirmier si gentil qui lui a passé la sonde dans l’estomac lui a dit tu n’as quand même pas envie de mourir, Gérard a répondu oui j’ai envie. L’infirmier a dit ensuite « il faut les porter à bout de bras ». À la télé on a parlé d’un chèque-psy pour aller consulter un spécialiste du stress. Comment faire pour l’obtenir ? Les médecins contactés sont complets complets.
Gérard a eu son anniversaire. Personne n’a oublié, le gâteau, la Tata et les grands-mères au téléphone. Mais un anniversaire sans la fête avec les copains, ça compte pour du beurre. Le Covid c’est comme si on faisait du surplace, on n’avance pas.
Gérard écoute le Premier ministre faire des annonces qui vont encore changer la vie. C’est pour ton bien, pour le bien de tous dit maman. L’enfant répond « Castex il ne sait pas que dans la population il n’y a pas que des adultes ».
Il a fait une corde avec son drap et l’a accrochée au lustre de sa chambre. Il a grimpé sur deux chaises, peut-être un peu comme au cinéma. Mais c’était pour de bon. Ça n’a pas marché, pas facile de réussir, et peut-être ne voulait-il pas vraiment réussir ont pensé les parents. Sur son bureau il avait laissé une lettre, très courte, dans une enveloppe, comme un secret. « Je veus grandire ».
2021-04-15 18h13 ap