Ambroise Perrin
On avait deux « polios », des poliomyélites, en classe de dixième. On les aidait à monter l’escalier et ils nous prêtaient leur fauteuil roulant pour faire des courses dans la cour. Ça nous paraissait très normal, je ne me souviens d’aucune moquerie, juste que parfois, ils sentaient vraiment la sueur, c’était difficile pour eux de se laver. La maîtresse nous avait dit qu’il y avait des gens qui étaient différents, c’est tout.
On avait d’autres élèves différents : Sylvain, un israélite qui ne pouvait pas tourner la lumière les jours de fête, et le samedi je lui portais son sac jusqu’à la maison ; et moi, j’étais le seul à avoir des lunettes et je ne pouvais donc pas jouer avec un ballon, trop dangereux. En sport, quand on avait foot ou basket, Wendling, le prof qui avait été champion du 400 mètres me disait : « Perrin, tu fais des tours du stade de l’Union », c’est peut-être pour cela que, plus grand, j’étais bon en cross-country.
Des copains du petit lycée, je me souviens encore de presque tous les noms. Acker, que je vois toujours et qui est artiste peintre ; il habitait dans le seul immeuble de Haguenau avec un ascenseur, on allait y faire des tours ; Amann, le fils du photographe ; Bourrel, qui voulait être prof de sport ; Bucher, le papa était docteur ; Christ, le plâtrier ; Dreyfuss, le magasin de meubles ; Jaeckel, le boulanger, etc., par d’ordre alphabétique jusqu’à Werner.
De ces années, où à part les copains, il n’y avait que la famille et la lecture, il me reste un parfum d’insouciance, bercé par ces mots : « Vous avez une enfance avec de la chance », parce que les parents parlaient encore de la guerre, avec là des mots qui étaient terribles et que les enfants ne faisaient que de deviner.