Retour rue des Fourmis, épisode n°13: LONGTEMPS

Ambroise Perrin

Tu vas mourir jeune disait maman, oui je disais, mais j’aurais vécu longtemps. Je passe mes nuits à bouquiner en cachette sous les draps. La chambre des enfants est divisée en deux par un rideau, côté fenêtre, les garçons, côté porte les filles et quand les garçons on sort on dit « fermez les yeux les filles, on passe ». 

Dormir, c’est la santé, extinction des feux à 9h, les petites dorment déjà. Allez hop ! Il fallait donc prendre ma lampe de chevet et me mettre à l’envers dans le lit, la tête vers les pieds, avec le bouquin. De temps en temps, sortir la tête pour respirer l’air frais. Une fois j’avais mis une chaussette sur l’ampoule un peu trop forte parce que mon frère rouspétait, la chaussette a fondu, il y avait de la fumée, et ouvrir la fenêtre cela aurait été faire hurler toute la chambre. 

J’avais toujours sur moi mon « livre de bibliothèque ». Celle de l’école ou celle du Musée où la bibliothécaire interdisait que je prenne des James Bond, pas de mon âge. Le livre, c’était peut-être une façon pour moi, l’aîné (le brouillon…) de m’isoler de la marmaille. Mais déjà bébé parait-il, je dormais peu, je restais les yeux ouverts à regarder ce qui se passe. J’aurais bien aimé passer plus de temps avec ma Mémé. Je lisais aussi en rentrant de l’école, on avait deux chemins, soit par la montée du fleuriste Fischer et la rue de la caserne soit par la route de Marienthal. Je me suis un jour cogné dans un lampadaire, le nez dans un Jules Verne, mes lunettes cassées, je suis tombé, j’ai vraiment vu 1000 étoiles. C’était là où on traversait, devant l’entrée du cimetière Saint Georges. 

J’avais un cahier où je faisais mes critiques de livres, cela me prenait beaucoup de temps et j’avais donc très vite trois ou quatre livres de retard pour m’épancher. Je me contentais alors de mentionner le titre et l’auteur et de mettre une note sur 20. J’étais très sévère, sauf pour les Arsène Lupin. Après ma nuit à bouquiner c’est papa qui venait nous réveiller pour l’école en jouant à Rodrigue dans le Cid : « debout les Maures ! »

6 commentaires sur “Retour rue des Fourmis, épisode n°13: LONGTEMPS

  1. « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » est l’incipit le plus célèbre de la littérature française. Une confession qui ne ressemble pourtant pas à son auteur. A la fin de sa vie, Proust commence sa journée vers 16 heures. Après une toilette méticuleuse et un dîner solitaire, il sort vers 23 heures rejoindre en retard un dîner mondain ou une réception qui l’inspireront. De retour chez lui vers 3-4 heures du matin, il raconte sa soirée à sa gouvernante avant de se coucher pour écrire jusqu’au matin.

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  2. merci de ce commentaire très élogieux dans ses sous-entendus… je n’ai lu Proust que très tard, à la trentaine, question de circonstances… Mais c’est vrai que passer sa nuit à son bureau, à écrire, c’est assez jubilatoire… J’imagine que c’est votre cas !

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  3. « Tu vas mourir jeune disait maman, oui je disais, mais j’aurais vécu longtemps » …
    Deux belles phrases inventées ou réelles pour commencer un roman … ?
    Ambroise tient tête à sa mère, et sa tête il la met à l’envers – métaphore aussi de l’effet provoqué par la lecture ? – pour lire le soir dans son lit .
    J’ai fait la même chose dans la chambre partagée avec ma soeur, chambre elle aussi divisée par un rideau. Le privilège de l’aîné, j’ai choisi le côté fenêtre.
    Ceux qui ne se sont pas cachés pour lire sous les draps n’ont pas connu l’immense plaisir que ça procurait.
    Imaginez, j’ai lu l’amant de lady Chatterley, livre bien sûr interdit par les parents – tu es trop jeune … ah bon ? !!

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