Allotropie
AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 26 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)
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Audrey va ouvrir un restaurant, l’information en soi ne casse pas trois pattes à un canard laqué. Audrey élève seule ses enfants et n’a pas écrit de livres de recettes comme les grands chefs vedettes pendant le confinement.
Cette dynamique femme, et depuis peu femme au foyer, était il y a un an chef pas du tout vedette d’un service à l’hôpital, dévouée corps et âme dès le début du Covid en mars l’an passé. Elle était une héroïne du quotidien. Elle a sauvé des vies, parfois elle ne quittait pas l’hôpital trois jours de suite. Les voisins s’occupaient des enfants. Elle n’avait pas le temps de pleurer chaque décès.
Le restaurant qu’elle va reprendre s’appelait À l’Aigle, elle va le rebaptiser À l’Aiglon. L’aigle de Saint-Jean dans le tétramorphe planera encore sur le mystère céleste. Mais l’aiglon de la tirade d’Edmond Rostand racontera mieux les raisons de sa désertion. Audrey refuse le mot trahison. « Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades… Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions, trop simples et trop gueux pour que l’espoir nous berne… L’ennemi nous attaque, et il faut qu’on le repousse ! Nous, nous ne l’étions pas, peut-être fatigués ? »
Elle quitte son métier en réa par lassitude. Un temps les applaudissements valorisaient les ombres. Audrey n’avait aucun doute qu’une fois le « pic » passé, l’hôpital aurait les moyens qui avaient tant manqués. En vibrant et en luttant à l’unisson pour soulever des montagnes on allait vaincre l’indolence.
Alors oui la fatigue. Audrey a perdu le souffle béni de la vocation. Elle a commencé par culpabiliser puis a découvert son allotropie, sa capacité à exister sous plusieurs formes. Ses collègues lui ont dit qu’elle aussi était victime de la terrible loterie du destin. Elle a repensé au bonheur d’être sortie un soir pour faire des courses au supermarché.
Audrey n’a pas le regard endurci que l’on prête aux renégats. Oui elle sait, comme dans les séries dystopiques, de nouvelles saisons menaçantes se profilent.
On lui dit encore tu changes de vie. On lui prédit des catastrophes car elle ne connaît rien au métier de la restauration. Le banquier l’a obligée à hypothéquer sa maison. Vous ne savez même pas à quelle date vous serez autorisée à ouvrir !
Bravo tu es une battante lui tweet la chef anesthésiste. Mais peut-être qu’en fin de compte, Audrey décidera de renoncer.
2021-04-26 20h13 ap
Pourquoi commenter? Tout est dit et tellement bien.
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