Rimes

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AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 28 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

C’est un monsieur qui est allé voir son médecin et puis par lui-même, en garant sa voiture au parking visiteurs, s’est présenté aux Urgences, l’enveloppe du généraliste en main.

Il attend. Puis c’est son tour, on lui demande son âge, 78 ans, très bien asseyez-vous on va faire des analyses. Et il fait quoi le monsieur ? demande la préposée aux admissions. Comme il est le seul monsieur dans le petit bureau, il comprend que c’est à lui que « on » s’adresse et il répond donc « je suis poète ». Interloquée la dame répond ah c’est bien, il faut de la poésie dans la vie, et avec le Covid… Et qu’avez-vous lu récemment comme poésie demande le monsieur à la dame en blouse blanche. Si vous croyez qu’on a le temps…

Poète ce n’est pas vraiment un métier, et quand on a les symptômes d’un virus, encore moins. L’urgentiste barbu lui dit je ne sais pas pourquoi j’ai cru que vous étiez un collègue médecin retraité. On va vous prendre en observation. Pour être toubib, on fait 7 ou 10 années d’études, spécialisation virologie par exemple. Pour être poète il faut, selon Google, posséder l’art de combiner les mots, les sonorités, les rythmes, pour évoquer des images, suggérer des sensations et des émotions. Étymologiquement poésie signifie faire, créer, mais ce n’est pas certain que cela donne droit à la carte Vitale.

Et vous gagnez votre vie ? demande le médecin intrigué. J’écris des textes qui montre que la réalité n’est jamais banale… ah, venez en salle de réa, vous verrez ce n’est pas banal. Je me demande répond le poète si on a autant besoin de poésie que de vaccins …

On le conduit dans une chambre, il passe une blouse marquée du logo de l’hôpital et bien trop large, il n’a pas froid le monsieur dit l’infirmière, qui sort en ajoutant on revient… L’hôpital est comme la société pense le poète, le patient y perd son libre arbitre, son sens des responsabilités, son autonomie. Dehors ce sont les publicités et les directives gouvernementales qui sournoisement dictent les modes de comportement. Ici on répond à des codifications, à l’expérience qui introduit une routine salutaire, on vous répète sans le dire vraiment que c’est pour votre bien, avec une terrible menace celle de sortir par la porte de la morgue.

La politique fait appel à la morale, le poète ne revendique que la liberté. Quand une solution est évidente, il faut toujours chercher une alternative, et comparer… rien ne doit émousser notre savoir et notre curiosité individuelle, même s’il y a des moments de vérité collective. Notre survie à la pandémie aura pour coût l’acceptation d’une infantilisation capricieuse de notre société et la poésie est certainement l’un des seuls « produits » encore impossible à programmer.

Le monsieur poète songe à tous ceux qui avant lui ont dormi dans ce lit métallique au mécanisme complexe pour monter ou se pencher. Des visages obscurs, invisibles, inconnus… Des rêves et des angoisses que leurs corps malades, leurs peaux étroites, leurs yeux fatigués laissaient courir en gambergeant d’être désirés. Les perfusions noient les sensations, les malades traversent les jours (anciens), mais aussi les saisons (en enfer) et les siècles (en jouant de Plutarque pour citer Pétrarque). Il paraît que les couleurs des murs à l’hôpital sont choisies par des psychologues… sous les pigments uniformes se reflètent des sensibilités exacerbées, des élans lyriques et de macabres souffrances. Les pages de l’au-delà, quand la médecine n’y arrive plus et décroche les tubes, sont tracées de cette encre qui s’immisce partout sans règles et sans prévenir. Les vers ou la prose c’est la musique du cœur, bien longtemps d’avant le moment de mourir.

Parfois l’on fait de la poésie sans s’en rendre compte. On se croit poète et seul le virus l’a décelé.

2021-04-28 19h13 ap

Un commentaire sur “Rimes

  1. Du vécu ou une imagination féconde ? je vois les scènes comme au cinéma, en fondus enchaînés…pas de meurtre mais l’ombre de la camarde plane…
    J’aime lire ces morceaux de vie imaginés, où la poésie cherche à trouver enfin sa place !

    Aimé par 1 personne

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