Ambroise Perrin
On avait plusieurs rallonges bout à bout qui descendaient de la fenêtre de la cuisine au premier étage, jusque sur l’herbe, devant le bloc. Là, on allumait le Teppaz, petit nom Oscar, le seul tourne-disque de l’immeuble, et tous les enfants, on écoutait La Vie de Mendelssohn par Pierre Sabbagh et de Beethoven par Catherine Langeais. Et aussi la Guilde du disque, la Ronde des Enfants et le Carrousel en Chansons. Le chat prend la souris, le chat prend la souris, ohé, ohé, ohé le chat prend la souris.
Plus tard, Madame Ohlmann au rez-de-chaussée a eu la télévision, son mari était représentant, ils avaient aussi une Dauphine. Et quand monsieur Ohlmann partait, il embrassait Madame Ohlmann sur le front. Ensuite Richard ou Christine laissait la porte du balcon ouverte et nous nous accrochions à la rambarde pour voir Thierry la Fronde, la Bourse aux idées et la Piste aux étoiles, ou même n’importe quoi.
Le meilleur souvenir, c’est ce que l’on se racontait d’avoir essayé de voir. Il fallait donc faire preuve de perspicacité. Mais surtout, on inventait la fin, parce que Madame Ohlmann avait fermé la fenêtre. Et si aucun adulte n’était là, elle l’a rouvrait avec un sourire.
Pour les disques sur la pelouse, en fermant les yeux, on voyait les décors, les paysages, le visage des personnages. Il y avait bien un livret carré de la forme des 33 tours, avec des dessins et la photo du speaker ou de la speakerine, mais les yeux clos on était au cinéma. Mieux que la télé.
Tu as raison, on était capable d’écouter spontanément un disque de plus d’une demi-heure attentivement, et d’aimer de le réentendre régulièrement, donc d’en « parler » ensemble… et tu précises bien qu’avec une tablette ou sur un téléphone portable, on écoute « tout seul » et rarement de longues plages… et il ne s’agit plus d’un choix culturel fait en amont, mais de quelque chose d’aléatoire, guidé par des algorithmes inquisiteurs et des publicités générées par des cookies… mais en cherchant bien on doit trouver la vie de Mendelssohn et de Beethoven racontée sur YouTube, non ? Les parents nous avaient acheté ces 33 tours, ceux d’aujourd’hui incitent-ils leurs enfants à écouter (regarder?) une émission documentaire sur un sujet qu’ils peuvent juger intéressant ?
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oui, le tout début des années 60 …
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