Ambroise Perrin
Grand-père avait une grosse boule sur le haut de la main gauche. Comme une noix entre le majeur et l’index. On jouait parfois à la toucher, c’était un peu mou, cela ne lui faisait pas mal. Il disait que c’était un sixième doigt, et le mystère nous plaisait bien. Les grands-parents étaient à la maison parce qu’un SADAL s’était installé exactement à côté de l’épicerie de Wissembourg, et du jour au lendemain, plus personne, plus un client, tous ceux qui étaient venus pendant la guerre à crédit allaient maintenant acheter leur moutarde en pot de verre fermé au SADAL et non plus en vrac, pesée à l’épicerie. Je me souviens encore de la balance Roberval avec les deux plateaux de cuivre où l’on s’amusait à mettre des poids.
On avait entendu le mot faillite, comme un gros mot des adultes, qu’on disait à voix basse. Toute une vie, trois générations d’épiciers, disparue en quelques mois. Et la vente du magasin avec la maison à un marchand de laine opportuniste avait juste payé les dettes aux fournisseurs.
Grand-père était quelqu’un de très gentil, surtout avec grand-mère qui était très malade. (cancer était un mot tabou comme faillite). Gentil aussi avec les enfants. Enfin, parfois, il pouvait être très sévère, maman avait un martinet, mais c’est une autre histoire, un jour grand-père avait dû me donner une fessée. J’imagine ma culotte sur les chaussures et couché sur ses genoux. Et ma chère grand-mère qui disait en alsacien « non Auguste ne lui fait pas mal» et grand-père avait mis sa main sur mon cul nu, et c’est sur sa main qu’il donnait la bonne fessée sonore. Avec son alliance, il tapa trop fort sur la veine de la main, le sang n’arrêtait pas de couler, ils sont allés à l’hôpital où ils ont tout recousu, et la peau a commencé à pousser tout autour et a fini par faire cette grosse boule.
AFP-Ambroise-Fiction-Presse 
La boule à la main … un souvenir vieux comme est Rhodes (et pas Hérode) a fait son chemin ! Le grand-père, le mien, avait un doigt tordu, on disait crochu pour se faire peur. Pourquoi avait-il ce doigt là ? On n’osait pas lui demander, seulement on faisait tout pour éviter qu’il nous touche. La fessée … je n’en ai jamais reçue, ni mon frère, ni ma soeur.
La gifle … une image me revient mais pouvait-on dire que c’était une gifle ? On avait dû faire une grosse bêtise, je ne sais plus laquelle. Notre mère a demandé à notre père de nous donner (quel mot) une gifle … c’était pas son style alors, comme le grand-père d’Ambroise Perrin, il a tapé ailleurs … sur sa main assez fort pour que notre mère l’entende ! Bien plus tard, on lui a raconté ce qui s’était passé … elle a ri ce qui nous a semblé une éternité …MDR
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