Retour rue des Fourmis, épisode n°4, LES HANNETONS

Ambroise Perrin

Est-ce qu’il y a encore des hannetons dans les herbes en ville à Haguenau ? On habitait chez les insectes, rue des guêpes, rue des chenilles, rue des cigales, la nouvelle rue des papillons avec le grand bloc des aviateurs de Drachenbronn en construction dans notre champ, à l’arrière de notre rue des fourmis. C’était notre jardin, il y avait même la vigne de Madame Lembach au milieu des pommes de terre et la rhubarbe. Les hannetons on les attrapait pour les mettre dans des boîtes d’allumettes grand format avec des petits trous pour respirer.

On cherchait aussi des têtards dans les ruisseaux qui traversaient les près avant les Missions Africaines. Aucun têtard ne s’est jamais transformé en grenouille dans nos bassines, mais les hannetons on en faisait des bombardiers. Il fallait des fils très très fins pour qu’ils soient légers, qu’on accrochait aux pattes des bestioles, si possible 3 ou 4 ensemble. Ensuite en classe, par exemple en math, on ajoutait un autre fil avec un tout petit bout de buvard qu’on trempait dans l’encrier, on ouvrait la boîte et on espérait un vol d’escadrille vers la blouse blanche du prof, n’est-ce-pas-donc-ici. 

Quand Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band a succédé à Revolver, on aimait tellement les Scarabées (Beatles en anglais) qu’on a formé un groupe pour les boums, avec une seule guitare, celle de Keith de Weitbruch, et on s’est appelé les Rebeatonles, Re devant et on au milieu, pour faire encore plus anglais. Moi je n’avais que deux 33 tours, le Dutronc où on le voit de haut, l’index pointé, et plus tard l’album blanc (double album n° 0153 113, j’ai aussi gardé les photos de John, Paul, George et Ringo, à l’époque punaisées au-dessus de mon lit sous le crucifix acheté pendant la guerre par grand-père et le torchon imprimé de la Joconde, cadeau de la Tante Hélène). Et aussi un vieux 45 tours, Enrico Macias, Enfants de Tous Pays. Les autres disques c’étaient des échanges.

 Les hannetons et les scarabées, on appellerait cela aujourd’hui des activités périscolaires.

Retour rue des Fourmis, épisode n°3: LES PORTES-CLÉS

Ambroise Perrin

C’était le temps des insouciances. Les mamans n’accompagnaient pas les enfants à l’école, les petits allaient avec les grands et pour rentrer on rentrait seul. J’avais huit ans, l’âge de faire des détours, au retour. C’était aussi le temps de la collection des porte-clés. Du Petit Lycée dans la cour du Musée à la Rue des Fourmis et ses quatre blocs bien alignés, il y avait au carrefour les atours de la Grand’rue apparue si longue de magasins enchantés. On y rentrait en étant bien poli, «bonjour Madame». La commerçante devinait la requête du petit balourd : «vous avez des porte-clés s’il vous plaît ?». Parfois ça marchait et on rentrait dare-dare triomphant à la maison, un de plus à mettre dans sa boîte à chaussures (mon frère avait sa propre boîte).

Deux plaquettes de plastique serties autour d’une réclame, une chaînette fragile et un anneau. La chance c’était le porte-clés avec une image qui bougeait, et encore mieux, avec un petit objet qui rappelait le commerce de la généreuse commerçante. À raison de trois ou quatre magasins à chaque fois, les espoirs restaient infinis. Je me souviens que la quête apportait bien plus de plaisir qu’une contemplation des trésors. Aujourd’hui les anneaux doivent être rouillés, et cela fait 60 ans que je n’ai pas ouvert le carton, mais pour rien au monde je ne jetterai mes porte-clés. Je sais, un jour, on mettra le lot pour 1 euro sur le Bon Coin, mais je ne veux pas y penser.

Retour rue des Fourmis, épisode n°2 :  LE CLUB DES CINQ   

Ambroise Perrin

Quand maman nous a dit qu’on allait avoir un nouveau petit frère, ou une petite sœur, nous les enfants on a vite cherché un prénom. C’était bien avant les échographies et on avait la surprise à la naissance. Il y avait des trucs pour deviner, mais cela ne marchait qu’une fois sur deux. Les enfants nous étions déjà trois, les ABC, Ambroise, Blandine, Claude, ce serait donc soit Damien, soit Dorothée. 

Nous lisions le Club des Cinq, et nous tentions d’écrire nous-même la même chose, les ABCDE, sans le chien Dagobert. L’appartement était trop petit pour avoir un chien. Dans un cahier de brouillon Clairefontaine neuf nous faisions un plan de l’histoire, assis dans l’herbe devant le n° 1 de la rue des fourmis, avec les autres du bloc. Les grands lisaient déjà les «bibliothèques Verte», les Michel et les Alice et nous les «bibliothèques Rose», le Club des Cinq et le Clan des Sept. 

En une après-midi du jeudi on pouvait lire un volume, c’était possible d’une traite, mais je dois expliquer la technique : pour les nouveaux, on les achetait chez Bastian, c’était 3 francs, et ils servaient aussi pour les cadeaux d’anniversaire ; mais pour les autres, il y avait un truc épatant, on allait chez Vincenti. Au milieu du magasin il y avait un énorme poteau avec des rayonnages et les livres «enfants». Comme on restait debout pour lire, monsieur Vincenti nous disait de nous asseoir sur des chaises en raphia, qui laissaient des traces sous les cuisses. On adorait vraiment aller chez lui, on pouvait mettre un papier pour marquer la page où on s’était arrêté (en espérant que le livre ne soit pas vendu entre-temps) et encore plus formidable, on gardait la librairie quand monsieur Vincenti allait boire une bière au Raisin. Quand j’étais seul il me demandait «ça parle de quoi ?» et j’étais incapable de raconter le livre alors j’inventais une autre histoire, juste pour répondre poliment. 

Après, quand on est devenu plus grands, il y a eu les «Rouge et Or», plus chers. Ma petite sœur s’appelle Véronique. 

Retour rue des Fourmis, une nouvelle série – n°1: DANS LA CULOTTE

Lorsqu’en 1972 j’ai quitté le 1 rue des Fourmis à Haguenau, dans le nord de l’Alsace, c’était pour aller en fac à Strasbourg. On y habitait en famille depuis 1954, dans un ‘bloc HLM’. Je me suis dit, j’y reviens tous les week-end. Puis je suis parti à Paris, et je me suis dit, j’y reviens tous les mois. J’ai toujours adoré me souvenir de la rue des fourmis. J’étais journaliste à FR3, et une année j’avais une émission sur la vie quotidienne que j’ai intitulée Rue des Fourmis. Après la télévision, j’ai rejoint le Parlement européen, surtout à Bruxelles, et je me suis dit, je vais écrire un roman sur la Rue des Fourmis. Je vais le faire (bientôt…).

En attendant, parce qu’à Haguenau mon ami Éric tient la boutique d’un chouette hebdomadaire, Maxi-Flash, j’ai joué en épisodes à l’exploration des petits riens de la mémoire. Je les reprends maintenant dans mon blog AFP Ambroise-Fiction-Presse, les voilà ces petits riens triturés avec de petites histoires pour vérifier que tout ce qu’on invente est vrai, comme ces épisodes de Retour rue des Fourmis

épisode n° 1 : DANS LA CULOTTE

Ambroise Perrin

Quand on a raconté 100 fois la même histoire, elle est vraie. Mon frère Claude dit qu’elle est fausse, maman affirme n’en avoir aucun souvenir. Les anecdotes de l’enfance sont celles que l’on répète aux fêtes de famille, que l’on écoute avec un sourire entendu et un air de surprise de bon aloi, même si c’est la 10 ème fois qu’on l’entend avec des variations qu’on se garde bien de relever. 

Donc cette histoire est belle et la voilà. Gamins, notre salle de jeu, c’était dehors, le macadam de la rue des fourmis, et moi, Ambroise, le plus grand, je devais donner le bon exemple. Surtout à mon petit frère d’un an et demi plus jeune. Et quand il y avait une bêtise de faite, c’était la faute de l’aîné. On jouait tranquillement devant le bloc. Et un accident arriva. Caca ! Claude avait fait caca dans sa culotte. Je passe les détails, ça collait, ça coulait. Il grimpe en courant les escaliers, j’avais d’autres choses à faire que de m’occuper de mon petit frère.

Il redescend propret, prêt à jouer. Jouer dehors consistait en une succession d’activités spontanées qui cherchaient à défier ce que l’on entendait en sortant de l’appartement, « soyez sages les enfants ». Claude n’avait pas été sage puisqu’il avait fait caca dans sa culotte. Il a donc été grondé, et en pleurs, il a tout expliqué, fort, du haut de ses 3 ans, d’une assimilation précoce des rouages rusés et sans scrupules de la culpabilité et de l’innocence : « le caca dans ma culotte, c’est pas de ma faute, c’est Ambroise qui m’a fait dedans ».

Londres : adieu à l’Arène !

AFP, Ambroise-Fiction-Presse, 17 septembre 2022, 13h13 ap

Les Britanniques adorent la corrida. Conséquence directe du Brexit, elles sont devenues impossibles au Royaume-Uni, l’importation de taureaux rageurs ayant été soumise à des taxes anti-européennes terriblement élevées et excessivement dissuasives. 

Nombreux sont les sujets de sa Gracieuse Majesté qui apprécient des villégiatures en Espagne et dans le Midi de la France, et ont donc reconstitué chez eux des arènes, parfois plus folkloriques que sportives, mais où les moutons ne sauraient remplacer les taureaux. Depuis la sortie de l’Union européenne, elles ont toutes fermé une à une, la dernière ce week-end à Londres.

The last Corrida, adieu à l’Arène ! 

AFP-Ambroise-Fiction-Presse 2022-09-17, 13h13 ap

Strasbourg : lampes de poche aux musées 

AFP, Ambroise-Fiction-Presse, 15 septembre 2022, 13h13 ap

Poètes vos papiers ! clame ironique Léo Ferré pour inciter chacun à prendre la plume et écrire. Visiteurs vos lampes de poche ! ordonnent provocateurs les Strasbourgeois pour se rendre dans les musées de la ville. C’est une lumineuse riposte à la fermeture des musées chaque midi à l’heure du déjeuner, et deux jours de suite dans la semaine, interruption des services par la municipalité de Strasbourg qui entend ainsi faire des économies d’électricité et de salaires. 

L’idée d’investir les lieux avec son propre éclairage est ludique. L’ambiance est festive, les entrées de plus en plus nombreuses, le ridicule oublié par charité. Les Strasbourgeois et les touristes se promènent ainsi dans les salles obscures aux heures bannies lampe de poche en main, avec la complicité du personnel ravi d’avoir retiré ses préavis de grève.

Des petites conférences sont organisées à l’ombre des toiles en fleurs. Des historiens de l’art, des ministres de la culture, des peintres contemporains viennent marquer leur solidarité avec les illuminés… Le sombre devient clair, les musées sont bleus comme une orange, et les verts rouges de honte. L’Origine du Monde et l’Apologie de la Bêtise sont les deux œuvres les plus admirées.

AFP-Ambroise-Fiction-Presse 2022-09-15, 13h13 ap

Sauve qui peut la mort, la fausse mort de Godard

AFP, Ambroise-Fiction-Presse, 13 septembre 2022, 13h13 ap

La mort de Godard est une image, une image que Jean-Luc Godard a créée. Godard a toujours voulu être un voyageur, passer de derrière à devant la caméra. 

Ce 13 septembre 2022 le cinéaste a décidé d’être l’image de Godard (qui a vérifié dans le cercueil ?) en mettant en scène une mort assistée et en se réjouissant, goguenard, des déluges de nécrologies qui saluent ce nouveau film avant même qu’il ne soit tourné. 

Cette œuvre reprendra l’ensemble des Unes des journaux, des laborieuses manchettes « A bout de souffle » aux plus inspirées « Forever Godard» de Libération. Godard a titré son film La Vérité ! et la graphie de l’affiche reprend celle du Mépris ; Godard en voix off remplace Piccoli en duo avec Brigitte Bardot qui a déjà accepté un retour en studio. 

Bien entendu le Festival de Cannes a dès maintenant annoncé vouloir sélectionner La Vérité ! en compétition officielle. Jean-Luc Godard a fait savoir qu’il y serait alors « présent et vaillant » dès l’ouverture. 

AFP-Ambroise-Fiction-Presse 2022-09-13, 13h13 ap

Lire en août, disponible: Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle, Ambroise Perrin

Quelques détours, et voilà, le troisième volume du « Chat confiné » est là : https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

cliquez, aucun cookies, aucune publicité, site sécurisé comme disent ceux qui savent que nous sommes menacés. Qui se souvient que l’idée d’un vaccin semblait irréaliste (farfelue?) et que le couvre-feu soulageait les épuisés du confinement? C’était il y a moins d’un an ! Lisez « Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle », la fiction plus « vraie » que la réalité, l’orgie littéraire comme un art, passionnant.

On avait diagnostiqué le Covid. Ce n’était pas ça. Cancer du pancréas. 3 mois, maximum. Oui, nous ne sommes pas tous morts du Covid. Après « Le Chat du 28 prend le soleil », observations ironiques du confinement, et « Le Chat du 28 veux pas mourir », chronique cynique du confinement suivant, voici « Le Chat du 28, rêve d’une orgie perpétuelle. » Du 7 avril au 2 mai 2021, sous le couvre-feu, la vie banale de personnages extraordinairement romanesques, et qui se battent contre la pandémie. La mort, la faute à la fatalité. L’orgie, la plongée dans la littérature. Raconter des histoires, un excellent vaccin.

Ambroise Perrin aime les journaux et les livres de Flaubert. Il écrit sa réalité comme des fictions. Cela ressemble à des impostures vouées à d’immense succès et traduites dans le monde entier.

Une chronique qui se présente comme un roman, au sein de la pandémie Covid-19. Glauque, sarcastique, ciselé comme pour escalader la Cathédrale à Strasbourg. 

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-prend-le-soleil/

« On connait l’histoire, et pourtant on est sidéré à chaque ligne. On lit « Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle » avec la délectation de celui qui a frôlé la mort. Passionnant. Ambroise Perrin réussit à partager son plaisir de la littérature »   

Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle, sur le site de l’éditeur:  https://editionsbourgblanc.com 12€. contact: editionsbourgblanc@gmail.com

message à faire suivre !

Dénouement

Le livre « Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle » disponible fin du mois de juin : editionsbourgblanc@gmail.com, 12 € –dessin LR

Dénouement

Trois mois donc puis la peine de mort. Adénocarcinome exocrine. Notre personnage vivra-t-il en toute fin de fiction un charitable coup de théâtre ?

Que faire pendant trois mois si ce n’est rêver, comme notre Chat rêve d’orgie littéraire en lisant Flaubert et en rendant hommage à Alexandre Deïneka, rêve-t-on avant de mourir d’immortalité ou simplement d’éternité ? Le lecteur complice veut bien s’attendre à un coup du destin rocambolesque pour le sauver de son cancer. L’erreur médicale, le médicament miracle, la foi qui ressuscite, ou la facétie du narrateur ?

Faire le ménage dans sa vie en trois mois, laisser une trace dans l’histoire de l’humanité en un coup d’éclat. Jan Kubiš de Prague en 2021. Trouver une cible n’est pas bien compliqué. Une évidence : le vieux facho qui depuis un demi-siècle nargue la politique française et effraye les démocrates. Il doit participer à une conférence au Conseil de l’Europe, démocratie précisément oblige, on y donne la parole à tous. L’homme qui tua Liberty Valence. Les assassins célèbres, Jaurès, Kennedy, Martin Luther King, John Lennon… David et Goliath, Métastase contre Détail. Notre héros imagine le juge lui disant il vous reste quinze jours à vivre et je vous condamne à vingt ans de prison. Sa photo sur un brancard avec des tubes qui sortent de partout et un sourire triomphant. Libé qui titre « Covid sans Peine ».

Mais ses amis refusent de l’aider. Par principe, par éthique, pour toutes sortes de bonnes raisons basées sur les valeurs de la République. Blablabla pense-t-il. Faire passer un flingue, c’est les Assises. Tirer de traviole, c’est mettre la vie des autres en danger. On se bat dans les urnes…

Et comme c’est une histoire vraie, ça me revient, il avait un surnom, Martel. Mao-spontex dans sa jeunesse, il savait se battre. Il passe à l’hôpital pour son traitement, on ne le laissera plus sortir. Il s’est mis à marcher avec un déambulateur puis à rester au lit. Il aimait qu’on lui rende visite avec des copines aux lèvres écarlates, les infirmières se laissaient genti- ment draguer. Il n’avait probablement aucune famille, un frère viendra récupérer sa bagnole. Alors qu’il était si faible, si jaune, si creux, si transparent, il disait en- core je vais sortir pour le faire. On se relayait en se donnant des informations dans le couloir. Les petits crabes qui lui bouffaient l’intérieur n’étaient pas contagieux, pas comme pour le Covid. Qu’est-ce que je me fais chier, il disait, quand je ne dors pas je m’ennuie, et quand je dors je rêve certainement que je suis mort. Et j’ai beau fouiller dans ma mémoire je ne me souviens plus de son enterrement. Le seul autre souvenir qui me reste, c’est d’avoir collé l’année d’avant des affiches avec lui avec un seau bleu ciel rempli de colle Perfax trop épaisse, et on buvait de la bière avant minuit, moi qui n’en buvais jamais, et il m’avait dit que s’il allait y avoir de la bagarre il aimerait cogner fort, il racontait cela pour me faire peur. Certainement, toute cette histoire, ce n’était pas vrai.

Ambroise Perrin

Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle – parution début juin

 Oui, nous ne sommes pas tous morts du Covid. Après « Le Chat du 28 prend le soleil », observations ironiques du confinement, et « Le Chat du 28 veut pas mourir », chronique cynique du confinement suivant, voici « Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. »

Du 7 avril au 2 mai 2021, sous le couvre-feu à Strasbourg, la vie banale de personnages extraordinairement romanesques qui se battent contre la pandémie. La mort, la faute à la fatalité. L’orgie, la plongée dans la littérature. Raconter des histoires c’est un excellent vaccin. Et les impostures aussi nourrissent des rêves d’immenses succès, traduits dans le monde entier.

Une chronique qui se présente comme un roman, au sein de la pandémie Covid-19. Glauque, sarcastique, ciselé comme pour escalader la Cathédrale à Strasbourg. « On connait l’histoire, et pourtant on est sidéré à chaque ligne. On lit « Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle » avec la délectation de celui qui a frôlé la mort. Passionnant. Ambroise Perrin réussit à partager son plaisir de la littérature »  

Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle, en librairie et sur le site http://www.editionsbourgblanc.com au début de juin 2021. 12€. contact: editionsbourgblanc@gmail.com

Que faire pendant trois mois si ce n’est rêver, comme notre Chat rêve d’orgie littéraire en lisant Flaubert et en rendant hommage à Alexandre Deneïka, rêver avant de mourir d’immortalité ou simplement d’éternité ?

Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle, en librairie et sur le site http://www.editionsbourgblanc.com au début de juin 2021. 12€. contact: editionsbourgblanc@gmail.com

Éternité

Éternité

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 2 mai 2021 (suite et fin -?- de la chronique sur le confinement, tome 3)

http://editionsbourgblanc.com/content/?id=298

Bon anniversaire ! C’est moi qui ai insisté pour avoir un gâteau avec toute la famille en visioconférence zoom. Et une grosse bougie ! Un an !

Chaque 2 mai, je vais fêter ma résurrection. Les commémorations c’est quand tout est terminé, je sais, et c’est vrai nous sommes toujours en guerre, le Covid est loin d’être vaincu. Les cérémonies officielles très peu pour moi, je suis plutôt genre rebelle anticonformiste ! Mais mon histoire est quand même assez exceptionnelle. Je fête cet anniversaire non seulement pour mon plaisir mais pour signifier ma gratitude, pour dire que chaque année je me souviendrais du sourire de l’infirmière chuchotant : « bonjour Monsieur Lazarus vous vous réveillez ? »

J’avais dû m’assoupir, car je venais de monter dans l’ambulance des pompiers, c’était le 1er avril, 2020 donc, et j’ai vraiment la faculté de m’endormir en un instant, un petit somme le temps de faire le trajet vers l’hôpital…

J’étais rentré de Paris avec un ami en TGV deux semaines auparavant, juste avant le confinement. Et là, je m’étais senti un peu mal, ça a duré quelques jours, de la fatigue et guère envie de manger. On a finalement appelé notre médecin de famille, il nous a envoyé SOS-Médecins. Les deux jeunes toubibs n’ont pas hésité, allez, on vous envoie à l’hôpital pour un petit contrôle, tout va bien. Quand j’ai vu que c’étaient les pompiers qui m’embarquaient, j’ai pensé que les deux jeunes probablement stagiaires et inexpérimentés en faisaient un peu trop, mais qu’ils prenaient leurs précautions… Et mince ai-je pensé, j’ai laissé mon ordinateur allumé, et demain il faut que j’aille récupérer ma montre, avant que tous les magasins ne soient totalement fermés.

Donc j’ouvre les yeux, excusez-moi je me suis endormi, je suis où, à Hautepierre ? Eh bien non, j’étais à Limoges, et ce n’était pas l’après-midi du poisson d’avril mais le 2 mai ! On m’avait de suite mis en réanimation, j’avais été dans une phase critique, foutu, puis miracle, les organes se sont remis à fonctionner, oxygène et tubes partout, et on m’avait expédié par avion dans la capitale de la vaisselle pour faire de la place à un « suivant » …

On m’a répété que j’avais eu beaucoup de chance, que ma constitution était bonne pour mes 77 ans (comme Tintin que je lisais à 7 ans) et qu’on me renverrait bientôt en Alsace si je continuais à bien me rétablir.

Ça va donc mieux maintenant, il m’a fallu toute une année de rééducation pour prendre le dessus… vous m’excuserez si je suis un peu long, mais ça fait tellement plaisir de bavarder…

Donc, un an ! Je souffle ma bougie, je regarde l’écran, je ne vois que des sourires et des pouces en avant… Aujourd’hui 2 mai 2021 on est presque au bout du troisième confinement, avec la fin de la limitation des 10 km de chez soi. J’ai lu les deux premiers volumes du « Chat du 28… », des chroniques amusantes et flippantes, on habite pas loin de la rue Geiler.

J’ai donc rêvé pendant plus d’un mois et les tubes ont fait pour ma survie autant que les souvenirs font plonger dans le passé. On dit que sur le point de mourir on se souvient de toute sa vie en un instant. 

Depuis que je suis rentré à la maison, je vénère mes habitudes. Mon passé existe dans mon présent, et même si je ravive les mille projets que j’ai en cours, c’est ma mémoire qui est devenue ma réalité, ma mémoire est devenue ma vie de tous les jours. Je me lance dans une activité et c’est le puzzle de mes 77 années qui rend efficace mon action. Je suis heureux car rien de ce dont je me souviens me paraît inutile. Quand on survit une fois, on est immortel.

Je n’établis aucune hiérarchie dans mes plaisirs à être « un survivant du Covid ». Tout m’apporte satisfaction. (Les Rolling Stones je les écoute maintenant sans casque, à fond, la fenêtre ouverte sur mon balcon, au soleil de l’Esplanade). That’s what I say, and I try… 

J’ai autant de bonheur éternel à humer la petite fumée de la bougie juste soufflée qu’à deviner que le téléphone qui sonne maintenant c’est ma petite fille chérie adorée.

À bientôt.

2021-05-02 23h13 ap

Crépuscule

Crépuscule

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 1er mai 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-veut-pas-mourir/

Duseigneur, c’est son nom de famille, alors Belle comme pseudonyme, ça sonne bien, avec un petit clin d’œil à l’année 68 chère à ses parents, l’année où est sorti le bouquin.

Sur les programmes elle est Bella-Bella, une convoitise qui virevolte comme Amanda, Priscilla et Alyssia, les danseuses vedettes seins nus à Kirrwiller. Il y a un an au mois de mars quand tout s’est arrêté et que le directeur encore désinvolte eut réuni la troupe, quelques jours de vacances amusaient. Les farceurs osaient des plaisanteries. Beaucoup chantaient. On était gai. Il se versait des petits verres. Aux serveurs, cuisiniers, comptables, cascadeurs, costumières, à tous les artistes le directeur annonça solennellement qu’on mettait la fête entre parenthèses et le sourire en berne.

Et puis, en trois jours, 14 personnes autour du village sont mortes du Covid. Une maman et son bébé ont été contaminés. La Grand’rue devint une morne plaine et là où se croisaient les autobus des spectateurs du troisième âge et des comités d’entreprise, ce fut la place fantôme.

Belle, comme tout le monde, accepta le jeu de l’optimisme et de la solidarité : prenons ensemble de quoi animer la flamme, la patience est belle, chassons la morosité. Le patron écrivit alors trois pages poignantes, intitulées « un silence assourdissant » dans un petit livre sur les « héros du quotidien, tous unis contre le virus ».

Chaque jour confinés dans les chambres les 40 artistes gardent la forme, gymnastique, danse, musculation. Mais on tourne en rond. Cela va durer combien de temps avant de rouvrir le spectacle, un mois, deux mois ? Arrive le mois de mai 2020. Alors ? Nous sommes maintenant au mois de mai 2021. Cet été ?

Depuis quelques mois, Belle est en télétravail. Non, non, elle ne se défleure pas en visioconférence, elle vend par téléphone des contrats pour des panneaux solaires, et des stages de reconversion pour utiliser les comptes personnels de formation, le contact avec le public est un peu différent. Parfois elle travaille une journée sans une seule concrétisation ; même avec des sourires au téléphone, ce n’est pas compliqué pour les potentiels clients de flairer les petits relents d’arnaques. Belle n’a trouvé rien d’autre comme job. Que faisiez-vous la saison dernière ? Je dansais, j’en suis fort aise… Elle rencontre d’autres artistes masques sur le nez à Strasbourg où elle habite maintenant. Impatiente que cela reprenne, sur scène, après le Covid ? Elle n’est plus certaine d’avoir à nouveau envie de cette vie trépidante, de cette folie de chaque nuit. Ses deux grands-mères viennent de mourir de la pandémie, elle a été effarée de ressentir comme un retord soupçon, celui que personne dans sa famille n’ait été vraiment affecté par ces deux disparitions.

Le confinement, le couvre-feu et ses petits arrangements lui ont fait perdre cet enivrement des caprices en paillettes. Bien sûr elle aura d’autres spectacles encore, mais les souvenirs continuels du Palace les lui rendront insipides. Elle a lu l’Éducation Sentimentale, elle reconnaît la fleur même de la sensation qui est perdue. Ses ambitions d’esprit ont également diminué.

Le Covid-19 a fait d’elle une victime, et ce n’est pas un virus dans son corps, c’est la perte de la véhémence du désir. Belle n’a même plus envie d’être amoureuse.

2021-05-01 22h13 ap 

Recherche

Recherche

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 30 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

« Je me couche avec mes doutes et je me réveille avec des convictions reforgées. » Marcel ? non Ma…cron ! Depuis longtemps le Président ne se couche plus de bonheur, il répond aux journalistes régionaux : « je n’ai jamais fait de pari sur la santé et sur la sécurité de nos concitoyens ».

La lutte contre la pandémie Covid-19 est une aventure et un drame parfaitement collectif. Les 7,7 milliards de citoyens du monde sont concernés. Alors dire « je » est un exercice acrobatique. Les philosophes diront qu’il y a 7,7 milliards de « je »… Raconter les histoires de quelques je, c’est donc faire des pirouettes. Le sauve qui peut passe par une case « moi » qui est plus un réflexe de survie qu’une réponse égoïste.

Ce scientifique travaille à l’institut Pasteur, il étudie le comportement des Français, et estime que « l’envie de passer à autre chose » l’emporte sur la prudence. Pourtant le relâchement total des mesures de restriction ne serait possible que si 90 % de la population adulte était vaccinée d’ici la fin de l’été. Et donc il brandit la menace d’une quatrième vague d’ici là. Un autre scientifique parle de l’effet yo-yo. Nous ne pourrons pas éviter un rebond de l’épidémie prévient une étude destinée au conseil scientifique.

Dans les services de soins critiques les soignants ne voient pas la couleur de « l’amélioration de la situation épidémique ». Tous sont fatigués et désabusés, ils travaillent à 250 % de leurs capacités. Stéphane est un médecin qui ne voit pas le bout du tunnel ; il a un sentiment d’abandon, le ras-le-bol est général, il faudrait que les infirmières et les aides-soignantes de son service de réanimation prennent quelques jours de repos.

La moyenne d’âge des morts a baissé, elle est maintenant de 55 ans. Il apprend qu’il y a des fêtes clandestines, ce n’est pas la colère qui l’envahit mais la lassitude.

« Quand je me couche avec mes doutes je me réveille avec ma déception… » Comme le Président, le médecin est encore à la recherche d’un temps qu’il ne peut se résoudre à abandonner.

2021-04-30 16h13 ap

Dodue

Dodue

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 29 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

Le chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle

Elle est grosse, elle pesait 113 kg il y a un an, aujourd’hui 127. C’est elle qui dit ‘grosse’ même si publiquement on dit ‘souffrant de surpoids’. Jusqu’à présent sa surcharge pondérale, elle faisait avec, de nos jours on se moque beaucoup moins des obèses. Tout juste s’indigne-t-elle quand elle note, dans les regards plus que dans les réflexions, que l’on s’interroge pour savoir si c’est de naissance ou parce qu’elle ne se nourrirait que de pizzas et de Nutella.

Andréa (oui, comme Ferréol, l’actrice de la Grande Bouffe) n’a que 40 ans, mais elle a lu dans la presse qu’elle pourrait avoir accès à la vaccination, par exception, comme les pompiers ou les profs. Il y a paraît-il des créneaux, destinés aux personnes âgées, qui ne trouvent pas preneurs. Andréa s’imagine en marche arrière avec son clignotant ; au bout du septième appel et un quart d’heure de musique saturée de grésillements, un opérateur téléphonique lui répond qu’il n’y a aucune instruction et que non il ne peut pas la mettre sur une liste d’attente, rappelez demain.

Qui est prioritaire demande-t-elle à son médecin traitant, les policiers, les militaires, les soignants, les diabétiques, les gros ? Elle pense à la blague sur les juifs et les coiffeurs qu’on persécute et pourquoi les coiffeurs ? Quelles sont les critères pour être éligible ? Il paraît qu’on jette des doses parce que le soir elles sont périmées ? Est-ce que quelqu’un va vous appeler pour vous donner le fameux créneau ou bien faut-il soi-même faire la démarche pour obtenir un rendez-vous ?

Andréa admet l’existence d’un répertoire des pompiers et des profs, mais peut-il y avoir une liste des grosses ? Son médecin généraliste pourrait lui faire une ordonnance en alexandrins :

« Madame Andréa Nutella souffre de surpoids, 

Elle bénéficie pour le vaccin d’un passe-droit. »  

L’autre truc serait d’aller le soir dans un centre de vaccination faire la queue pour prendre la place d’un bénéficiaire inscrit mais qui ne serait pas venu. Un responsable de la coordination explique que les plus impatients se sont rués sur les vaccins avec des bousculades un peu comme en période de soldes. Aujourd’hui c’est devenu plus calme. Alors Andréa pose cette question, c’est quel vaccin que vous avez, le Pfizer ?

2021-04-29 17h30 ap

Rimes

Rimes

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 28 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

C’est un monsieur qui est allé voir son médecin et puis par lui-même, en garant sa voiture au parking visiteurs, s’est présenté aux Urgences, l’enveloppe du généraliste en main.

Il attend. Puis c’est son tour, on lui demande son âge, 78 ans, très bien asseyez-vous on va faire des analyses. Et il fait quoi le monsieur ? demande la préposée aux admissions. Comme il est le seul monsieur dans le petit bureau, il comprend que c’est à lui que « on » s’adresse et il répond donc « je suis poète ». Interloquée la dame répond ah c’est bien, il faut de la poésie dans la vie, et avec le Covid… Et qu’avez-vous lu récemment comme poésie demande le monsieur à la dame en blouse blanche. Si vous croyez qu’on a le temps…

Poète ce n’est pas vraiment un métier, et quand on a les symptômes d’un virus, encore moins. L’urgentiste barbu lui dit je ne sais pas pourquoi j’ai cru que vous étiez un collègue médecin retraité. On va vous prendre en observation. Pour être toubib, on fait 7 ou 10 années d’études, spécialisation virologie par exemple. Pour être poète il faut, selon Google, posséder l’art de combiner les mots, les sonorités, les rythmes, pour évoquer des images, suggérer des sensations et des émotions. Étymologiquement poésie signifie faire, créer, mais ce n’est pas certain que cela donne droit à la carte Vitale.

Et vous gagnez votre vie ? demande le médecin intrigué. J’écris des textes qui montre que la réalité n’est jamais banale… ah, venez en salle de réa, vous verrez ce n’est pas banal. Je me demande répond le poète si on a autant besoin de poésie que de vaccins …

On le conduit dans une chambre, il passe une blouse marquée du logo de l’hôpital et bien trop large, il n’a pas froid le monsieur dit l’infirmière, qui sort en ajoutant on revient… L’hôpital est comme la société pense le poète, le patient y perd son libre arbitre, son sens des responsabilités, son autonomie. Dehors ce sont les publicités et les directives gouvernementales qui sournoisement dictent les modes de comportement. Ici on répond à des codifications, à l’expérience qui introduit une routine salutaire, on vous répète sans le dire vraiment que c’est pour votre bien, avec une terrible menace celle de sortir par la porte de la morgue.

La politique fait appel à la morale, le poète ne revendique que la liberté. Quand une solution est évidente, il faut toujours chercher une alternative, et comparer… rien ne doit émousser notre savoir et notre curiosité individuelle, même s’il y a des moments de vérité collective. Notre survie à la pandémie aura pour coût l’acceptation d’une infantilisation capricieuse de notre société et la poésie est certainement l’un des seuls « produits » encore impossible à programmer.

Le monsieur poète songe à tous ceux qui avant lui ont dormi dans ce lit métallique au mécanisme complexe pour monter ou se pencher. Des visages obscurs, invisibles, inconnus… Des rêves et des angoisses que leurs corps malades, leurs peaux étroites, leurs yeux fatigués laissaient courir en gambergeant d’être désirés. Les perfusions noient les sensations, les malades traversent les jours (anciens), mais aussi les saisons (en enfer) et les siècles (en jouant de Plutarque pour citer Pétrarque). Il paraît que les couleurs des murs à l’hôpital sont choisies par des psychologues… sous les pigments uniformes se reflètent des sensibilités exacerbées, des élans lyriques et de macabres souffrances. Les pages de l’au-delà, quand la médecine n’y arrive plus et décroche les tubes, sont tracées de cette encre qui s’immisce partout sans règles et sans prévenir. Les vers ou la prose c’est la musique du cœur, bien longtemps d’avant le moment de mourir.

Parfois l’on fait de la poésie sans s’en rendre compte. On se croit poète et seul le virus l’a décelé.

2021-04-28 19h13 ap

Fumée

Fumée

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 27 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

Les bars sont fermés Covid oblige, alors on se retrouve à la maison, apéro au balcon et discothèque au salon jusqu’à très tard chaque soir ; les voisins râlent, le syndic dit que c’est au propriétaire de régler le problème et il y a un article dans le journal rubrique locale « La vieille dame et les étudiants » : les jeunes on n’arrive plus à les tenir, raconte une voisine au journaliste qui encadre ses propos outrés, ils font la fête, des nuits entières je ne peux pas dormir. La dernière fois, c’est écrit, c’était jusqu’à 5h18 du matin, le Covid n’excuse pas tout.

Je vais maintenant vous raconter la vraie histoire de cette gentille pauvre dame qui a 85 ans et habite au troisième étage. Les trois étudiants de la collocation elle les aime bien. Ils ont de jolies copines, et ils lui font les courses quand elle ne veut pas descendre. Dimanche il l’ont invitée au café dans leur salon, elle a apporté masquée des bredele oui des bredele en avril, elle a adoré rallumer son four. Bien sûr le ménage n’était pas fait, mais ça sentait bon, un peu comme l’encensoir aux enterrements, elle connait faut pas croire. C’est leurs autres copains qui font tant de bruit, les visites la nuit. Et c’est les autres voisins qui sont les champions pour hurler, appeler la police, l’agence immobilière, l’association SOS Aide aux habitants et pourquoi pas Monsieur l’abbé de la Chapelle Saint-Erhard ?

Elle s’appelle Mathilde, comme Marthe et Mathilde, la dame du journal et elle n’a pas apprécié qu’on n’ait même pas mis son nom dans l’article. Non, surtout pas, elle n’est pas une vieille dame indigne de théâtre. Bien sûr la nuit c’est l’horreur, alors elle met des boules Quies et prend un verre de schnaps. Avant 6h du matin elle se réveille, cela vient juste d’être tranquille, elle se lève, allume son tourne-disques, elle a gardé ses 33 tours d’il y a 50 ans, et à fond, à fond, à fond, les fenêtres ouvertes, elle passe Smoke on the Water (elle était enceinte de sa troisième quand elle est allée voir Deep Purple au Wacken), et elle met deux fois le disque en surveillant la rue, et quand elle voit la voiture de police, elle arrête, et se marre quand les voisins qui ont téléphoné se font engueuler et que dans l’appart’ de la collocation tout est calme (luxe et volupté aime-t-elle ajouter), tout est calme et bien pieuté. 

Sa fille à qui elle dit tout lui a répondu maman tu as un sacré virus, le virus hard rock dans la peau.

2021-04-27 23h13 ap

Allotropie

Allotropie

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 26 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

Audrey va ouvrir un restaurant, l’information en soi ne casse pas trois pattes à un canard laqué. Audrey élève seule ses enfants et n’a pas écrit de livres de recettes comme les grands chefs vedettes pendant le confinement.

Cette dynamique femme, et depuis peu femme au foyer, était il y a un an chef pas du tout vedette d’un service à l’hôpital, dévouée corps et âme dès le début du Covid en mars l’an passé. Elle était une héroïne du quotidien. Elle a sauvé des vies, parfois elle ne quittait pas l’hôpital trois jours de suite. Les voisins s’occupaient des enfants. Elle n’avait pas le temps de pleurer chaque décès.

Le restaurant qu’elle va reprendre s’appelait À l’Aigle, elle va le rebaptiser À l’Aiglon. L’aigle de Saint-Jean dans le tétramorphe planera encore sur le mystère céleste. Mais l’aiglon de la tirade d’Edmond Rostand racontera mieux les raisons de sa désertion. Audrey refuse le mot trahison. « Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades… Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions, trop simples et trop gueux pour que l’espoir nous berne… L’ennemi nous attaque, et il faut qu’on le repousse ! Nous, nous ne l’étions pas, peut-être fatigués ? »

Elle quitte son métier en réa par lassitude. Un temps les applaudissements valorisaient les ombres. Audrey n’avait aucun doute qu’une fois le « pic » passé, l’hôpital aurait les moyens qui avaient tant manqués. En vibrant et en luttant à l’unisson pour soulever des montagnes on allait vaincre l’indolence.

Alors oui la fatigue. Audrey a perdu le souffle béni de la vocation. Elle a commencé par culpabiliser puis a découvert son allotropie, sa capacité à exister sous plusieurs formes. Ses collègues lui ont dit qu’elle aussi était victime de la terrible loterie du destin. Elle a repensé au bonheur d’être sortie un soir pour faire des courses au supermarché.

Audrey n’a pas le regard endurci que l’on prête aux renégats. Oui elle sait, comme dans les séries dystopiques, de nouvelles saisons menaçantes se profilent.

On lui dit encore tu changes de vie. On lui prédit des catastrophes car elle ne connaît rien au métier de la restauration. Le banquier l’a obligée à hypothéquer sa maison. Vous ne savez même pas à quelle date vous serez autorisée à ouvrir !

Bravo tu es une battante lui tweet la chef anesthésiste. Mais peut-être qu’en fin de compte, Audrey décidera de renoncer.

2021-04-26 20h13 ap

Manifestation

Manifestation

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 25 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

Ce fut un dimanche de cinéma avec le soleil sur les quais mâtinés d’une torpeur printanière. On s’attarda sur les lilas du bord de l’Ill qui papillotaient comme une périssologie d’insouciance.

Une rumeur bonhomme monte place du Corbeau, c’est une manifestation encadrée de policiers. Les manifestants policés crient « Liberté ». On laisse s’envoler quelques banderoles, on lit le mot grec démocratie, revendiquée en français et en allemand. Ils sont une cinquantaine à protester en prenant leur temps. Même en cent ans… Un an c’est trop, manif anti-confinement et anti-couvre-feu, nez au vent et masque peureux. Sous les pavés la torve menace Covid, sous le menton le lâche filtre impavide. Légèreté de la rime et du regard des pandores, nulle amende semble-t-il aux rebelles qui reprennent de plus belle la ritournelle la sono à fond et l’aubade à pleins poumons : « Nous… Voulons… Danser ».

La revendication c’est qu’on ne veut plus vivre comme cela et que je me bats pour mes droits, le gouvernement doit arrêter le bla-bla. Les mécontents titillés aux arguments dénoncent le complot universel et l’aveugle soumission aux vaccins. Les mesures restrictives pour endiguer de nouvelles vagues de la pandémie trichent avec notre crédulité car il n’y a aucun danger.

Marc observe les baladins, la vigilance frondeuse et goguenarde. Lui porte le masque et il se dit que c’est beau un pays de vraie liberté qui permet aux imbéciles d’ainsi se montrer. Il sait que le malheur n’arrive pas qu’aux autres, il a été hospitalisé l’an passé tout comme son compagnon, le Covid des premiers jours, lui s’en est tiré, Antoine lui vite a été enterré.

Les « sans gestes barrières » et les « collés les uns aux autres » sont rassemblés contre le grand mensonge. Ils propageront leur grande bêtise et leurs minuscules gouttelettes infectieuses au moment de la dislocation de la manifestation.

2021-04-25 14h13 ap

Monument

Monument

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 24 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

http://editionsbourgblanc.com/content/?id=298

Les deux frères jumeaux n’attendent que cela, encore faut-il qu’on les convoque. Thanatos et Hypnos vivent dans une caverne où le soleil ne pénètre jamais et sur ordre de leur mère Nyx, ils viennent sur Terre participer aux rites funéraires. Car sans cérémonie correctement effectuée les morts ne trouvent pas le repos et sont condamnés à errer éternellement.

Des familles qui ont vécu ces enterrements à la va vite pendant les confinements demandent que l’on élève des monuments aux morts du Covid. Le chiffre de 100 000 décès ayant été dépassé, ce serait le moment de commencer. La plupart des victimes du Covid meurent à l’hôpital sans être accompagnés par leurs proches et le cercueil est scellé à jamais, sans témoin ni dernier baiser, et pour ne laisser aucun virus s’échapper.

Charlie Hebdo imagine ces monuments aux morts : des œuvres comme des paraboles de l’oubli de tout ce qui aurait pu être fait pour éviter l’ampleur de la pandémie, un masque géant (en grès des Vosges ?), un écouvillon en bronze ou une tour Eiffel confectionnée avec toutes les doses non utilisées d’AstraZeneca.

Thanatos et Hypnos doivent se marrer, la pandémie est loin d’être terminée, la quatrième vague va arriver, le nombre de morts va fructueusement doubler.

Ils ont un pote sur Terre, mais qui vient de les lâcher, il s’appelle Jonathan. Cet employé des pompes funèbres raconte au Parisien l’omerta du business de la mort, des choses terribles. Travail à la chaîne, confusion de corps, sac de pommes de pin pour remplir les draps. Quand on est seul il faut faire tomber le corps du frigo en visant bien le cercueil en dessous, ça fait un grand bruit ça fait bizarre. Et quand ça dépasse il faut briser les os pour que ça rentre. Et si c’est trop gros s’asseoir sur le couvercle comme une valise trop pleine pour mettre les vis.

Notre Reiser qui es aux cieux, que ton humour soit sanctifié, que ton règne revienne, ça n’a pas changé, on vit une époque formidable !

2021-04-24 17h13 ap

Personne

Personne

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 23 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

Le virus c’est comme une voiture électrique, on ne le voit pas venir. Un silence sournois du coin de la rue qui vous fauche en douce. Momo est urgentiste, chef au CHU, il fait son philosophe en pensant qu’il a failli mourir écrasé par une bagnole alors qu’il ‘touche au Covid’ tous les jours, et là sans faire le guignol.

Il a insulté l’automobiliste, ça défoule, qui lui l’a traité de tous les noms avec une petite remarque ‘bien de chez nous’ (s’il avait su qu’un jour ce serait ce piéton étranger qui lui sauverait la vie ?). Momo que chacun imagine un diminutif de Maurice c’est pour Mohamed et quand on regarde bien ça se voit ‘tout le monde médit de moi sauf les muets ça va de soi’.

T’as fait quoi hier soir lui demande le collègue qu’il va remplacer. J’ai regardé Terence Hill, un western, Mon nom est Personne, ça me relaxe… Ouais, les Colts et les morts au soleil ça relaxe… Tu savais que Personne c’est quelqu’un, c’est Ulysse dans l’Odyssée d’Homère, quand il crève l’œil du Cyclope ? Dans le genre j’aime beaucoup Clint Eastwood… Moi Klaus Kinski, c’est mon préféré. Bon combien de morts cette nuit ?

Momo enrage car depuis que l’on ne parle plus que des vaccins et de Rasta Zeneca (c’est parti jusqu’au juin) on ne surveille plus le chiffre des morts. Aux Urgences c’est l’embouteillage comme en mars l’an passé. 30 000 nouvelles contaminations par jour en France, et 6000 partent en réa. Le Premier ministre avait annoncé moins de 5000 contaminations…

Quel est le bon vaccin ? La question en boucle aux Urgences ; ce qui est mauvais c’est de ne pas se faire vacciner quand on est éligible répond l’infirmière à cette personne conduite en observation. Elle n’ajoute pas pour vous maintenant ça ne servirait plus à rien.

Il devrait y avoir une routine aux Urgences et non c’est toujours le bazar. Les morts cela fait de la place mais c’est quand même toujours dur à vivre.

Parfois un ‘sauvé’ revient dire bonjour, il attend sur le parking, je ne veux pas déranger mais vous m’avez sauvé… Je vous dois tout… Ce ne sont pas les chocolats et les fleurs qui font plaisir mais ce regard qui dit merci.

L’infirmière voit sur le tableau que Momo a rempli les trous en prenant les gardes les plus pourries. C’est vraiment un type bien. Momo écoute France Info prostré devant son gobelet de café, on pourrait croire qu’il dort, il pense simplement qu’une fois par semaine une journée sans parler du Covid ni des ministres ni du vaccin ça ne ferait de mal à personne.

2021-04-23 21h13 ap 

Erreurs

Erreurs

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 22 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

Marie-Louise° est connue pour avoir la main sur le cœur et le cœur sur la main. « À l’Ehpad tout le monde l’adore ». Elle ne compte pas ses heures, elle connaît tous les pensionnaires, leurs envies, leurs habitudes, leurs drames. Quand on est de garde de nuit on fait un peu tout, on va même à la cuisine réchauffer un plat pour Marthe la centenaire qui a faim à 3h du matin.

Depuis un mois la tension est à nouveau plus forte. Les infirmières, les aides-soignantes, même Marcel l’électricien homme à tout faire, on n’a plus l’entrain de l’an passé, pendant le premier confinement. Y’en a marre revient souvent. Solidarité et applaudissements c’est terminé. On fait son boulot, ça oui, mais oui il y en a marre. Certains prennent même des congés de maladie c’est dire.

Cet épisode aujourd’hui, c’est parce qu’il y a eu trois morts, j’aurais dû l’écrire de suite.

Trois dames de l’Ehpad sont mortes cette nuit, c’est beaucoup en une nuit, elles sont mortes peut-être de peur, de peur du Covid. Marie-Louise était là mais elle pense qu’elle n’a pas assuré. La fatigue, la fatigue. Elle ne le dit pas, et personne ne le lui dit, mais elle pense qu’elle a fait des erreurs. Mais même une erreur de médicaments ne fait pas mourir une vieille dame. Elle n’a pas vraiment répondu quand on appelait, elle a hésité à réveiller de suite le médecin, elle n’est pas restée pour parler avec la 18 et quand elle est repassée un quart d’heure plus tard elle était partie.

La directrice lui a juste dit rentre chez toi et prend un jour pour te reposer.

C’est nul de raconter cela pour finir ce récit mais c’est vrai, elle est rentrée chez elle, c’est nul se répète-t-elle pour elle-même, c’est nul de se mettre à pleurer et elle a pleuré toute la matinée avant d’aller se coucher.

° Le prénom n’a pas été changé.

2021-04-22 13h13 ap

Complot

Complot

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 21 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

La petite dame s’appelle Martine. Elle est veuve depuis longtemps et elle a peur. Elle vit seule et elle regarde la télévision. Et elle a un téléphone plat pour Internet. Elle a peur parce qu’elle ne veut rien comprendre aux mesures sanitaires, que son voisin Andreas qui travaille en Allemagne lui dit que c’est à devenir fou, et qu’elle ne peut plus faire des heures comme serveuse à la brasserie fermée.

Martine se sent vieille, les tests elle n’en sait rien et les vaccins c’est très très dangereux. Elle n’est pas seule parce que des gilets jaunes de l’an passé l’ont emmenée cet après-midi aux discours sur la place de la République, il y avait une autre Martine qui expliquait pourquoi les masques c’est de l’arnaque. C’est tous les laboratoires capitalistes qui veulent presser les petites gens. Ils prennent l’argent des petites gens, ils n’ont pas beaucoup d’argent les petites gens mais comme il y a beaucoup de petites gens ça fait au total beaucoup d’argent. Les salauds !

Après on a applaudi le docteur de Marseille, ils veulent le mettre en prison alors que c’est lui qui a raison, son invention à la glycine qui couine a sauvé plein d’Américains mais en France on l’interdit, les salauds !

Les Français qui vont se faire vacciner sont des cobayes, ils meurent ensuite d’une thrombose, comme sa voisine Alice qui était si grosse et qui est morte dès le début en mars dernier. Martine a maintenant sur son téléphone le film sur le hold-up, ce n’est pas un film de gangsters c’est un film scientifique sur le Covid. Au micro l’autre Martine répète qu’on nous ment, que c’est faux, que c’est juste une épidémie comme la grippe. Les gouvernants sont des criminels, elle le dit ! Les docteurs qui sont courageux et qui disent la vérité risquent aussi la prison ! Il y a une dictature sanitaire ! Le complot est mondial !

Des acteurs avec des enfants se mettent entièrement dans des blouses blanches, ils ont des masques blancs et ils tournent sur la place. Ça fait peur comme des morts-vivants. Pas besoin de test pour comprendre que c’est la mort qui marche, mais les tests sont inutiles, ils donnent des résultats faux à 90 % ! Et comment savoir si on est dans les 10 % ? Et ces tests coûtent 20 millions par jour à la sécurité sociale ! Quel gâchis. Martine est révoltée, elle signe des pétitions et attend qu’on la ramène à la maison.

Dans la voiture le fils de la conductrice fait de l’école à distance, c’est l’heure, il prépare le bac. Il a un petit ordinateur allumé et écoute un professeur qui parle d’un philosophe qui s’appelle Rousseau. Martine lit sur l’écran du gamin : « le faux est susceptible d’une infinité de combinaisons mais la vérité n’a qu’une manière d’être. »

Ce serait une jolie fin pour cette fin d’après-midi et pour la fin de cette histoire, mais ce qui est vrai c’est qu’à l’hôpital aujourd’hui, l’hôpital Maréchal, voilà, il y a eu quatre morts du Covid 19, c’est précisément rue Xavier Roussel à Metz Devant-les-Ponts.

2021-04-21 17h13 ap 

Listes

Listes

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 20 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

C’est sur le sable d’une belle plage, chez le bon Dieu au paradis, Christophe dessine un beau visage, puis il chante et il dit, j’ai crié Aline pour qu’elle revienne.

Je vais sur Wikipédia pour chercher la liste des personnalités mortes ‘de la Covid 19’. En tête d’un étonnant très très long tableau, décédé le 25 janvier 2020 à Wuhan en Chine, Liang Wudong le premier médecin emporté par la maladie. Ensuite dans la même ville une dizaine de professeurs et de spécialistes médicaux dont l’ophtalmologiste qui de suite avait donné l’alerte… Des dizaines de pages, d’abord des Iraniens, des Italiens, Espagnols, Américains, le premier Français répertorié est l’ancien maire et sénateur de Corse Nicolas Alfonsi. Puis Marguerite Derrida, Manu Dibango, la princesse Marie-Thérèse de Bourbon-Parme, Henri Tincq, Pape Diouf, François de Gaulle le neveu, Henri Weber, Claude Goasguen, Liliane Marchais, Bernard Stalter, Jean-Pierre Vincent, Nelly Kaplan, Michel Robin, Giscard répertorié Covid lui aussi, Kim Ki-duk, Kenzo, Robert Hossein, Hubert Auriol, Rémy Julienne, Larry King, Jean-Louis Servan-Schreiber, Fausto Gresini, quelques 500 noms ‘célèbres’…

Ils ne reviendront pas, Aline, Aline… morts du Covid. Ces morts gloires immortelles bénéficient parfois d’hommages ‘en ligne’, des offrandes virtuelles, des conférences et des ateliers, et même des capsules audiovisuelles culturelles, capsules comme pour voyager dans l’espace ou boucher une pétillante bouteille.

En Espagne El Païs mentionne les morts ordinaires du Covid par une courte notice biographique, déjà 28 400 noms, ‘la génération qui a grandi dans l’après-guerre, traversé la dictature et permis l’ascension sociale de ses enfants par sa lutte pour cimenter la démocratie’. Partout des célébrations collectives en présence de têtes couronnées et de chefs d’État : il faut des rituels pour passer le cap.

En France, on dédie le défilé du 14 juillet aux soignants mais pas de mise en scène codifiée risquant de déstabiliser l’ordre social que maintient le pouvoir en place. 100 000 morts Covid-19 en France, des associations demandent une journée d’hommage national. Apprivoiser la mort quand les cadavres sortent de l’hôpital dans une housse et direction le crématorium ? : ce mari voudrait ‘quand même voir sa femme’, impossible lui dit-on ; sac-poubelle de luxe pense-t-il.

Les morts célèbres ont une fin de notice Wikipédia mention ‘Covid’ ; quand on mourait du cancer autrefois on ne citait pas la maladie. Les morts ‘ordinaires’ ont été neutralisés, ils n’ont été ni identifiés ni pleurés collectivement, comme cela est organisé après un attentat ou une catastrophe ; ils ont été réduits à des décomptes destinés à faire peur et à rendre prudents ‘les survivants’ et à les forcer à respecter les consignes.

Le Monde interview une psychanalyste strasbourgeoise qui lance le ‘Covideuil’ pour étudier les changements de relations avec la mort. Et les effets de panique provoqués par le virus.

La mort est une menace, la mort est un échec, donc la mort est quelque chose que l’on cache. Alors les morts célèbres dont on parle nous désolent. Pas de chance spécule-t-on avec compassion.

2021-04-21 22h13 ap

Cabane

Cabane

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 19 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

Quand les pompiers ont croisé dans l’escalier le médecin légiste flanqué des policiers ils ont lancé ‘encore un escargot’, les cadavres de gens repliés sur eux-mêmes, qui ne sont pas sortis de chez eux depuis des semaines, et qui finissent par rentrer dans leur coquille.

C’était une jeune fille très timide a dit la voisine. C’est vrai qu’elle ne sortait jamais, elle se faisait parfois livrer une pizza.

Pendant que l’inspecteur fouillait dans un sac à main à la recherche d’un contact de famille, le toubib regardait s’il y avait un mot ou des médocs laissés quelque part. Je suis certain qu’elle est clean, elle s’est juste laissé aller comme cela dans son fauteuil. Pas de drogue, pas de médicaments, juste attendre de finir, on verra à l’autopsie, elle semble vraiment clean.

Tous les syndromes ‘de la cabane’ ne finissent pas en DCD, mais il rencontrait de plus en plus de gens qui avait renoncé à reprendre une vie normale, des TOC, troubles obsessionnels compulsifs qui dépassaient leurs crises d’angoisse en plongeant dans une funeste léthargie. L’alternance confinement, couvre-feu, télétravail, perte des contacts sociaux faisait surgir ces petites détresses refoulées.

La dame elle n’est pas morte du Covid mais à cause du Covid répéta le toubib au flic, c’est comme les taulards qui sont paumés en sortant et qui regrettent presque de ne plus être pris en charge par les matons. L’inspecteur questionnait la voisine, elle faisait quoi comme travail, elle avait des amis ?

Dans le journal demain une psychologue clinicienne expliquera que tous les âges et tous les profils sont touchés par cette insidieuse inclination à se renfermer, à s’isoler, à ne plus avoir envie d’aller voir dehors. Ces victimes avaient commencé par adorer le confinement car cela leur facilitait la vie, elles n’avaient plus besoin d’affronter leurs collègues grâce au télétravail ni à avoir à adopter une apparence sans même à changer de tee-shirt, on pouvait garder le même 15 jours de suite. La jeune fille avait cessé de faire le tri de ce qui pouvait être essentiel sans vraiment remettre en cause les jalons de sa vie, ses études, ses choix professionnels, ses amis, sa famille et de nouveaux automatismes s’étaient imposés.

Ce n’était pas un suicide, plutôt une panne de vie. Dans son casque encore branché, en boucles éternelles, le Quatuor n°14 en ré mineur D 810 de Schubert, ne crains rien, donne-moi ta main, je suis ton amie. La vie a besoin de la mort pour être considérée. Au mur, un poster de Rembrandt, Hadès enlevant Perséphone. Des cartes postales de vacances. Elle avait grimpé au sommet du Mont Tremblant et trouvé un abri dans une cabane en rondins puis s’était endormie en oubliant la providence.

2021-04-19 22h13 ap

Traces

Traces

AFP – Ambroise-Fiction-Presse. Le Chat du 28 rêve d’une orgie perpétuelle. 18 avril 2021 (suite de la chronique sur le confinement, tome 3)

https://editionsbourgblanc.com/produit/le-chat-du-28-reve-dune-orgie-perpetuelle/

Nous sommes aujourd’hui le vendredi 17 décembre 2128, et ce monsieur quoiqu’alerte un petit peu labile s’enfonce dans un doux fauteuil en krypton et fouille dans sa mémoire dont il vient de renouveler la carte d’élixir de perpétuité. Il est né le 17 décembre 2020, et donc a été conçu le 17 mars, premier jour du Premier Confinement Mondial, bien après la Première Guerre Mondiale. A 108 ans il est depuis 20 ans à la retraite, et son ourdisse-125 lui laisse encore quelques 17 années de présence terrestre avant de perdre ses droits à l’assistance et de devoir s’abandonner à la nature.

Il a donc survécu au Covid coronavirus, une variante de la grippe ibérique et de la peste black qui avaient éliminé le tiers des populations mondiales par manque de vaccins, les clonages moléculaires instantanés n’ayant pas encore été mis au point. Il y a eu en un siècle tellement de cataclysmes, quels souvenirs remontent jusqu’à son enfance ? Quelles traces garde-t-il des années 2020 – 2030 ? 

Oui, 108 ans plus tard… Aujourd’hui le 18 avril 2021 cherchons ce qui marquera la mémoire collective ; depuis le premier jour où la Terre cessa de tourner et où chacun avait pour ordonnance de ne plus bouger, en mars 2020 donc, les enchainements se sont effacés les uns après les autres, et déjà en une année on oublie, on s’habitue, on continue, résigné à son destin comme baigné dans un éternel Fado. 

La mémoire de 2128 respectera-t-elle la mélancolique fortune du conformisme qui ânonne que tout était mieux avant ? Et nous, quelles impressions avons-nous de 1913 ? Il y a 108 ans les Alsaciens étaient des Wackes, humiliés à Saverne par un jeune prussien arrogant. Proust publiait Du côté de chez Swann à compte d’auteur, Chaplin tournait sa première bobine, Nijinski sacrait le Printemps de Stravinski, Roland Garros traversait en aéroplane la Méditerranée, le canal de Panama était percé, le tango remplaçait le triple boston qui avait fait oublier la valse, 11 millions de pauvres en Europe émigraient, les actions du caoutchouc reconstitué grimpaient, le ministre Albert Lebrun passait des Colonies à la Guerre, Mayol chantaient Le long du Missouri, la thyroïdine Bouty étaient reconnue par l’Académie de Médecine, le lait antéphélique dépuratif Candès assurait la pureté du teint et le sirop Frany guérissait l’asthme et la tuberculose, les dames sujettes à la constipation et l’obésité prenait du Lin-Tarin, la lotion Midirette parfumée Lavandor luttait contre les pellicules, l’argenterie de famille s’achetait chez Girard et Boitte Maison-de-confiance et les trousseaux à la Cour Batave, les autochromes Lumière étaient en couleur et le Gaumont-Palace, 6000 fauteuils, était le plus grand cinéma du monde. Pour rêver à un autre monde, frivole, bigarré et indolent. 

2021-04-18 16h13 ap